QUAND LE DEUIL DEVIENT UNE FÊTE: LE PARADOXE DES FUNÉRAILLES CAMEROUNAISES ET SES DÉRIVES SOCIALES

Franck Gutenberg
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Lorsqu’un homme aisé meurt, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Ce n’est plus le deuil, mais le faste de l’événement qui attire les foules. La cérémonie devient un théâtre de compétition pour les mets raffinés, les vins rares et les gestes ostentatoires. Pire encore, certains voient dans la fragilité des veuves un terrain fertile pour des manipulations et des avances déplacées. D’autres, moins intéressés par les êtres que par les biens, repartent avec des sacs débordants de nourriture, alors qu’ils sont venus sans même une bouteille d’eau.

L’opulence masquée : le deuil comme vitrine sociale

Au Cameroun, les funérailles sont devenues de véritables festivals. Tentes luxueuses, buffets dignes d’un mariage princier, et décorations somptueuses transforment ces moments censés être de recueillement en parades sociales. Loin de l’image d’un adieu sobre et digne, le deuil est désormais l’occasion de « briller » : qui a offert le meilleur plat ? Qui a apporté la bouteille de vin la plus chère ? Qui a mis le plus d’argent dans l’enveloppe ? Ce n’est plus la mémoire du défunt qui importe, mais la performance sociale qu’on y livre.

Et les abus ne s’arrêtent pas là. À cette fête déguisée en cérémonie, nombreux sont ceux qui viennent les mains vides, mais repartent les bras chargés de nourriture, comme s’il s’agissait d’un centre de ravitaillement. Le pain du deuil devient un banquet opportuniste.

Entre convoitise et manipulation

La dérive la plus inquiétante est celle qui transforme les veuves en proies. Dans leur douleur et leur vulnérabilité, certaines deviennent la cible d’hommes sans scrupules qui profitent de la confusion émotionnelle pour initier des relations souvent intéressées. Ces comportements, à la limite du prédateur, sont justifiés par des traditions mal interprétées ou détournées à des fins personnelles.

Dans le même registre, d’autres invités usent de stratégies pour s’attirer les faveurs de la famille ou récupérer un avantage matériel. Il n’est pas rare de voir certains rôder autour de la maison endeuillée, non pas pour compatir, mais pour faire main basse sur un bien, un terrain, ou une relation.

L’importation de la dérive dans la diaspora

Ces habitudes ne sont plus seulement confinées aux villages ou aux villes camerounaises. Elles ont traversé les océans, et la diaspora camerounaise en Europe ou en Amérique les a intégrées, parfois amplifiées. À Paris, Bruxelles, Montréal ou Washington, les funérailles sont organisées dans des salles luxueuses, avec service traiteur et décorateurs professionnels. L’enjeu est le même : démontrer son statut social, impressionner la communauté, et continuer à nourrir les mêmes comportements de consommation et de concurrence.

Retrouver le sens du deuil

Face à ces dérives, une remise en question s’impose. Le deuil devrait rester un moment de compassion, de mémoire et de solidarité. Il ne devrait jamais devenir une foire où l’on vient pour se remplir l’estomac ou pour chasser la veuve. Le respect dû au défunt et à ses proches ne devrait pas être noyé dans les vapeurs de la nourriture ou les éclats du champagne.

Revenir à l’essence du deuil, c’est choisir la dignité, la retenue et l’humanité. C’est rappeler que la vraie richesse ne réside pas dans ce que l’on montre ou ce que l’on mange, mais dans l’amour et le soutien que l’on partage.