JUBA, 21 avril — Dans un revirement spectaculaire, l’armée sud-soudanaise a annoncé avoir repris le contrôle de Nasir, une ville stratégique de l’État du Nil Supérieur tombée en mars aux mains de la White Army, une milice ethnique Nuer soupçonnée d’être liée au chef de l’opposition et vice-président, Riek Machar.
La reprise, effectuée sans combat direct, est présentée par les responsables militaires comme une manœuvre rapide et réussie. Cependant, derrière cette victoire militaire se cache un paysage politique extrêmement préoccupant.
Les fantômes de la guerre civile ressurgissent
Depuis l’accord de partage du pouvoir signé en 2018, qui avait mis un terme officiel à une guerre civile sanglante, le Soudan du Sud évolue sur une paix précaire. Cet équilibre semble aujourd’hui dangereusement compromis. L’arrestation puis la mise en résidence surveillée de Machar, accusé d’avoir fomenté une rébellion en soutenant la White Army, a provoqué une onde de choc politique dans la région et ravivé les craintes d’un retour aux conflits ethniques. Des observateurs mettent en garde contre un possible effet boomerang:
« Détenir Machar sans consensus politique large risque d’exacerber davantage les tensions », alerte un analyste régional. « Nous avons déjà vu ce scénario : une arrestation déclenche une spirale qui mène à des déplacements massifs et à l’effusion de sang. »
Une ville reprise, mais à quel prix?
Le porte-parole de l’armée, Lul Ruai Koang, a confirmé que la ville de Nasir a été reprise dimanche grâce au soutien d’une reconnaissance aérienne, qui a permis d’éviter une embuscade dans le village voisin de Thuluc, fortement bombardé. D’après les autorités militaires, 17 civils et combattants ont été tués lors de l’opération.
Côté opposé, le porte-parole de la White Army, Honson Chuol James, a minimisé cette perte en parlant de « retrait tactique ». Mais son ton masquait mal l’intensité croissante du conflit.
La White Army, tristement célèbre pour sa guerre décentralisée et brutale entre 2013 et 2018, demeure une force instable. Bien que le parti SPLM-IO de Machar nie tout soutien à la milice, plusieurs rapports d’ONG humanitaires et d’observateurs locaux évoquent une coordination probable, notamment dans les zones à majorité Nuer où Machar jouit d’un fort soutien.
Les puissances régionales entrent en scène
Préoccupé par l’évolution de la situation, le président ougandais Yoweri Museveni s’est récemment rendu à Juba et a déployé son armée pour soutenir le gouvernement de Salva Kiir. Son fils, Muhoozi Kainerugaba, chef des forces armées ougandaises, affirme que 1 500 combattants de la White Army auraient été neutralisés lors des affrontements récents.
Bien que difficile à vérifier de manière indépendante, cette déclaration traduit une internationalisation croissante de la crise sud-soudanaise. La présence de troupes étrangères sur le sol sud-soudanais fait redouter une escalade régionale du conflit.
Un mouvement politique en pleine crise
Dans le même temps, des fractures internes apparaissent au sein du mouvement de Machar. Une faction du SPLM-IO a publiquement annoncé avoir temporairement remplacé Machar à la tête du parti, une décision que la branche armée a rejetée, réaffirmant sa loyauté envers son leader détenu.
Cette scission révèle un désarroi interne qui pourrait soit affaiblir l’opposition, soit radicaliser ses éléments les plus extrêmes.
L’heure tourne
Le Soudan du Sud se trouve une fois de plus à un carrefour crucial. Le conflit entre Kiir et Machar dépasse désormais la rivalité personnelle: c’est l’avenir d’une nation tout entière qui est en jeu. Chaque camp se retranche, les milices ethniques reprennent les armes, et beaucoup craignent que le maigre vernis de la paix ne vole en éclats.
À moins que des efforts diplomatiques internationaux urgents ne soient engagés, le monde pourrait assister très prochainement à la résurgence d’une guerre civile dans le plus jeune pays d’Afrique une guerre qu’aucun accord de paix ne pourra peut-être contenir cette fois.