L’UNION AFRICAINE: VERS UNE VÉRITABLE UNION PANAFRICAINE OU UNE SIMPLE BUREAUCRATIE INEFFICACE?

Franck Gutenberg
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Un projet d’unité ou un instrument d’inefficacité ?

Créée en 2002 pour succéder à l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), l’Union africaine (UA) devait représenter un tournant décisif vers l’intégration du continent et son autodétermination. Avec des principes fondateurs basés sur la paix, la sécurité, le développement économique et la coopération politique, l’UA aspirait à redéfinir l’avenir de l’Afrique dans un monde globalisé.

Cependant, plus de deux décennies plus tard, son efficacité est remise en question. L’UA a-t-elle accompli sa mission, ou est-elle devenue une institution lourde de bureaucratie, plus apte aux déclarations d’intention qu’à l’action concrète?

Cet éditorial examine le rôle de l’UA dans la résolution des conflits, le développement économique et la stabilité politique, en analysant si elle nécessite une réforme profonde ou un renouvellement de son mandat. L’exemple de l’Alliance des États du Sahel (AES), qui regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger, illustre comment la désillusion face à l’UA pousse certains États à chercher des alternatives régionales plus pragmatiques.

Résolution des conflits: un arsenal vide ?

L’un des objectifs fondamentaux de l’UA était de prendre en charge les questions de sécurité et de réduire les conflits qui entravent le progrès du continent. Son Conseil de paix et de sécurité (CPS), inspiré du Conseil de sécurité de l’ONU, avait pour mission d’intervenir rapidement en cas de crise. Pourtant, son efficacité est largement contestée.

Des guerres civiles comme celles au Soudan, des insurrections persistantes au Sahel, et l’instabilité croissante à l’Est de la République Démocratique du Congo illustrent l’incapacité de l’UA à prévenir et gérer efficacement les conflits. Même lorsqu’elle déploie des missions de maintien de la paix, comme l’AMISOM en Somalie, celles-ci dépendent presque entièrement de financements étrangers, principalement de l’Union européenne et des Nations Unies. Cette dépendance fragilise la souveraineté africaine en matière de gestion des crises.

Par ailleurs, la réponse de l’UA aux coups d’État en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Mali, Guinée, Niger) révèle une approche réactive et incohérente. En suspendant ces pays, l’UA et la CEDEAO ont poussé ces États à créer l’AES, marquant une rupture nette avec les institutions régionales traditionnelles.

Si l’UA veut jouer un rôle central en matière de paix, elle doit cesser d’être un simple observateur et devenir un acteur proactif capable de traiter les causes profondes de l’instabilité.

Développement économique: un géant sans dents?

L’Agenda 2063 de l’UA ambitionne une croissance inclusive, une industrialisation accrue et une intégration économique continentale. Pourtant, les économies africaines restent fragmentées, dépendantes des exportations de matières premières et vulnérables aux chocs extérieurs.

La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) devait transformer l’Afrique en un marché unique intégré, mais son implémentation est au ralenti en raison de l’insuffisance des infrastructures, des réticences des États à ouvrir leurs marchés et d’institutions faibles.

Par ailleurs, l’Afrique reste piégée dans un cycle d’endettement, avec des engagements financiers croissants envers les institutions occidentales et la Chine, alors que l’UA n’a pas encore proposé de stratégie collective efficace pour une croissance autonome.

Le cas de l’AES est révélateur : ces pays estiment que la souveraineté économique et l’autonomie doivent primer sur des alliances bureaucratiques qui ne produisent pas de résultats concrets.

Stabilité politique: Gardienne de la démocratie ou protectrice des autocrates ?

L’UA s’est donnée pour mission de promouvoir la démocratie et la bonne gouvernance, mais elle s’est montrée incapable de prévenir la fraude électorale, les abus de pouvoir et l’autoritarisme.

Alors qu’elle suspend rapidement les États dirigés par des militaires, elle reste silencieuse face aux dirigeants qui s’accrochent au pouvoir pendant des décennies, comme en Cameroun, en Ouganda ou en Guinée équatoriale. Cette double norme remet en question la crédibilité de l’UA en tant que garant de la démocratie en Afrique.

Si l’UA veut rester légitime, elle doit appliquer une politique cohérente et équitable, en condamnant toutes les formes de mauvaise gouvernance, pas uniquement les coups d’État militaires.

L’ascension de l’AES : un signe d’échec de l’UA ?

La création de l’Alliance des États du Sahel (AES) en 2023 par le Mali, le Burkina Faso et le Niger marque un tournant géopolitique. Ces nations, déçues par l’inaction de l’UA et de la CEDEAO, ont choisi d’établir leur propre alliance pour assurer leur défense et leur développement économique.

Les dirigeants de l’AES estiment que l’UA et la CEDEAO sont trop alignées sur les intérêts occidentaux, au détriment de solutions purement africaines. Leur retrait de la CEDEAO témoigne d’un désaveu croissant des institutions régionales, posant la question de la pertinence future de l’UA si elle ne s’adapte pas aux nouvelles dynamiques politiques du continent.

Réforme ou disparition ? L’UA face à son destin

L’Union africaine se trouve à un carrefour critique. Pour s’imposer comme un véritable organe panafricain, elle doit :

  1. Renforcer ses mécanismes de gestion des conflits – en créant des forces d’intervention africaines indépendantes financièrement.
  2. Accélérer la mise en œuvre effective de la ZLECAf – en incitant les États à lever les barrières commerciales et à investir dans les infrastructures.
  3. Garantir une approche uniforme en matière de gouvernance – en sanctionnant toutes les formes d’abus de pouvoir, sans distinction entre gouvernements militaires et civils.
  4. Rétablir le dialogue avec les États en rupture – au lieu de se contenter de sanctions punitives.

Sans ces réformes, l’UA risque de devenir une organisation bureaucratique inefficace, déconnectée des réalités africaines et incapable de conduire le continent vers son avenir.

Un appel à une UA centrée sur les peuples

Si l’UA veut véritablement concrétiser le rêve panafricain, elle doit écouter les peuples africains, et pas seulement les gouvernements et les élites politiques. Le temps des discours creux est révolu.

L’Afrique a besoin d’une UA qui agit, et non d’une UA qui parle. Ses défis nécessitent du leadership, de l’innovation et une refonte profonde du concept d’unité panafricaine.

L’UA relèvera-t-elle ce défi ou entrera-t-elle dans l’histoire comme une institution inefficace ayant échoué à servir son continent ? L’avenir de l’Afrique en dépend.