L’EST DE LA RDC: UN CHAMP DE BATAILLE D’INDIFFÉRENCE MONDIALE ET D’EXPLOITATION LOCALE

By Franck Gutenberg
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Depuis des décennies, l’est de la République démocratique du Congo (RDC) est le théâtre d’une violence et de déplacements inimaginables, mais le sort de cette région reste une réflexion tardive pour la communauté internationale. Les massacres récents près de Beni, notamment le meurtre de 18 personnes le 10 août, révèlent la brutalité régulière des attaques attribuées aux Forces démocratiques alliées (ADF). Cependant, ces atrocités ne représentent qu’un fragment d’une crise bien plus complexe qui expose les échecs des réponses locales et globales.

 

 

Les cycles de négligence et de violence

 

L’est de la RDC est depuis longtemps synonyme de déplacements et d’instabilité. Plus de sept millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays, un chiffre accablant qui souligne le coût humain d’un conflit apparemment sans fin. Les massacres, comme ceux de juin ayant coûté la vie à plus de 120 personnes, sont attribués aux ADF, un groupe rebelle ougandais affilié à l’État islamique. Pourtant, ces attaques se déroulent souvent dans l’ombre de l’inaction des armées régionales, des Casques bleus de l’ONU et des acteurs internationaux.

 

Ce manque de réponse met en lumière une triste réalité : tandis que le monde prétend s’en soucier, ses actions restent incohérentes et symboliques. La dépendance à des cadres de maintien de la paix obsolètes, des stratégies internationales fragmentées et une rhétorique dénuée de résultats concrets reflète la perte de pertinence des approches occidentales traditionnelles en matière de résolution des conflits.

 

 

Une réponse internationale fragmentée

 

 

Malgré les milliards investis dans les missions de maintien de la paix, l’aide humanitaire et la résolution des conflits, il existe peu de preuves d’aboutissements durables. L’attention de la communauté internationale s’est souvent concentrée sur des questions isolées, comme la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23), tout en ignorant la prolifération plus large des groupes armés qui dominent la région.

 

Les gouvernements occidentaux dénoncent le soutien présumé du Rwanda au M23 tout en finançant simultanément les efforts militaires du Rwanda ailleurs, comme au Mozambique. L’implication militaire du Burundi en RDC est à peine abordée malgré son rôle important dans l’exacerbation des tensions. Ces incohérences reflètent une communauté internationale incapable ou non disposée à appliquer des stratégies cohérentes face à des intérêts géopolitiques concurrents.

 

 

La complicité locale et la gouvernance militarisée

 

 

Les échecs de l’intervention internationale sont reflétés par les actions des élites politiques de la RDC. Une rhétorique nationaliste a été utilisée pour mobiliser des milices sous prétexte de combattre le M23, créant un dangereux précédent de gouvernance militarisée. Ces groupes armés, souvent agissant en toute impunité, sont devenus des acteurs clés dans un paysage sécuritaire fragmenté, servant de proxies pour des agendas politiques et économiques.

 

Parallèlement, la grande corruption au sein du gouvernement reste sans contrôle. Des réseaux d’extraction de ressources illicites et de mauvaise gestion financière alimentent davantage l’instabilité, avec des bénéfices qui se déversent dans les poches des élites plutôt que de s’attaquer aux causes profondes du conflit. Dans certains cas, l’armée congolaise elle-même a collaboré avec des groupes armés, brouillant la ligne entre gouvernance et insurrection.

 

 

Un paysage mondial en mutation

 

 

Alors que l’influence occidentale s’amenuise, de nouveaux acteurs se positionnent pour combler le vide. Des sociétés militaires privées, des puissances régionales et des acteurs mondiaux émergents offrent leur propre forme d’intervention, souvent motivée par des intérêts personnels plutôt que par les principes des droits de l’homme ou de la démocratie. Ces nouvelles dynamiques reflètent un ordre mondial en mutation, dans lequel des relations plus transactionnelles remplacent l’interventionnisme libéral occidental traditionnel.

 

L’implication croissante de la Russie en Afrique, visible dans des pays comme le Mali et la République centrafricaine, fournit un modèle pour cette transition. Bien que ces acteurs apportent des ressources et une aide militaire, ils manquent de responsabilité, compliquant davantage l’équilibre fragile des pouvoirs dans des zones de conflit comme l’est de la RDC.

 

 

 

Vers une prise de conscience

 

 

L’incapacité à aborder les complexités de la crise en RDC découle d’un refus de dépasser des cadres obsolètes et des récits superficiels. Les explications simplistes enracinées dans des tropes coloniaux comme les rivalités ethniques ou les guerres pour les ressources ignorent les moteurs multiples du conflit, allant de la corruption politique aux luttes de pouvoir régionales.

 

Une nouvelle approche est urgemment nécessaire, une approche qui donne la priorité aux agences locales, impose une responsabilité aux acteurs nationaux et internationaux et adopte des solutions innovantes aux défis de la sécurité et de la gouvernance. Sans ce changement, la RDC risque de devenir un champ de bataille perpétuel, avec une population piégée dans des cycles de violence, de déplacements et de négligence.

 

Il est temps pour une réévaluation franche de l’engagement mondial en RDC. Ce n’est qu’en confrontant ces échecs de manière directe que la communauté internationale pourra commencer à reconstruire sa crédibilité et, plus important encore, offrir un espoir aux millions de Congolais qui continuent de souffrir en silence.