LE RÊVE DU PANAFRICANISME: UN IDÉAL OUBLIÉ OU UNE RÉALITÉ FUTURE?

Franck Gutenberg
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De la Libération à la Stagnation: La Promesse Perdue du Panafricanisme

Il fut un temps où le panafricanisme n’était pas qu’un concept, mais un véritable mouvement. Des premières luttes contre le colonialisme à la vague d’indépendances des années 1950-1960, l’appel à une Afrique unie et souveraine résonnait avec force. Kwame Nkrumah, Julius Nyerere, Thomas Sankara, Patrice Lumumba, et d’autres figures emblématiques rêvaient d’un continent débarrassé des divisions artificielles, maître de ses ressources et architecte de son propre destin.

Mais plus d’un demi-siècle plus tard, ce rêve semble en lambeaux. L’Afrique demeure fragmentée par des frontières héritées du colonialisme, piégée dans des systèmes économiques dominés par des puissances étrangères, et affaiblie par des conflits internes qui opposent les nations et les peuples entre eux. Les institutions censées concrétiser le panafricanisme comme l’Union africaine (UA) se sont transformées en coquilles bureaucratiques, plus enclines aux discours symboliques qu’à l’action réelle.

Que s’est-il passé ? Le panafricanisme était-il une utopie naïve ? Ou l’Afrique a-t-elle simplement été trahie par ses propres dirigeants, qui prêchent l’unité tout en se pliant aux exigences extérieures ?

L’Union Africaine : Symbole d’Unité ou Mirage Politique ?

L’Union africaine devait être le pilier du panafricanisme, une institution permettant aux nations africaines de coordonner leurs politiques économiques, de défendre leurs intérêts face aux puissances étrangères et de garantir leur sécurité collective. Pourtant, après plus de 20 ans d’existence, qu’a-t-elle réellement accompli ?

  • Les conflits font toujours rage à travers le continent, du Congo au Soudan et au Sahel, sans que l’UA puisse y mettre fin.
  • La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), censée être un tournant pour l’intégration économique, reste plus théorique que pratique, paralysée par la bureaucratie et les réticences des États à abandonner leurs protections nationales.
  • Plutôt que de lutter contre le néocolonialisme économique, les dirigeants africains continuent de s’endetter auprès du FMI, de la Banque mondiale et des anciennes puissances coloniales, compromettant ainsi l’avenir du continent.

Au lieu de s’imposer comme un bloc uni sur la scène internationale, les nations africaines se tournent toujours vers l’extérieur pour résoudre leurs problèmes, au lieu de forger leur propre destin collectif.

Comment le panafricanisme peut-il être viable lorsque les dirigeants africains refusent d’agir ensemble ?

La Trahison des Ressources Africaines : Un Continent Riche mais Privé de Pouvoir

L’un des objectifs fondamentaux du panafricanisme était que l’Afrique reprenne le contrôle de ses richesses naturelles. Le continent possède 40 % des réserves mondiales d’or, 90 % du platine et plus de 30 % des ressources minières mondiales—pourtant, des millions d’Africains vivent encore dans la pauvreté. Pourquoi ?

  • L’Afrique exporte ses matières premières brutes mais importe des produits finis à des prix exorbitants, perpétuant son statut de fournisseur de ressources bon marché.
  • Les multinationales et les gouvernements étrangers continuent d’exploiter les richesses du continent sous des contrats léonins, pendant que les dirigeants africains ferment les yeux.
  • Le franc CFA, vestige du colonialisme, demeure sous le contrôle de la France, empêchant une véritable indépendance monétaire dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre.

Si le panafricanisme veut être plus qu’un simple slogan nostalgique, l’Afrique doit reprendre en main son économie et mettre en place des politiques favorisant son développement autonome.

Le Mythe de l’Intégration Régionale : La Division au Service du Contrôle

L’un des plus grands échecs de l’Afrique moderne est son incapacité à s’intégrer comme un bloc uni. Alors que l’Europe a su construire l’Union européenne, l’Afrique demeure morcelée, avec des organisations régionales qui se concurrencent au lieu de coopérer :

  • La CEDEAO en Afrique de l’Ouest entre fréquemment en conflit avec l’UA, notamment sur la gestion des transitions politiques et militaires.
  • La Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) montre un certain potentiel, mais les dissensions internes entravent les progrès.
  • La SADC en Afrique australe reste inefficace face aux crises récurrentes au Zimbabwe ou au Mozambique.

Au lieu de travailler pour une vision commune, ces organisations fonctionnent en silos, chacune défendant son influence au détriment d’une coopération véritablement panafricaine.

Si l’Afrique ne dépasse pas ses divisions régionales, le panafricanisme restera une illusion inatteignable.

Reprendre le Rêve : Que Faut-il Faire ?

Si le panafricanisme veut avoir un avenir, les dirigeants africains—et plus encore, ses peuples—doivent exiger des actions concrètes, et non de simples promesses creuses. Voici les mesures essentielles à prendre :

  1. Mettre fin à la dépendance économique – L’Afrique doit développer ses propres institutions financières, renforcer le commerce intra-africain et industrialiser ses économies.
  2. Réformer en profondeur l’UA – L’Union africaine doit devenir un véritable organe de décision, et non une institution spectatrice de l’histoire. Elle doit avoir des mécanismes coercitifs pour résoudre les conflits et lutter contre la mauvaise gouvernance.
  3. Créer une défense militaire panafricaine – Plutôt que de compter sur des interventions étrangères, l’Afrique doit bâtir une force militaire unifiée pour protéger sa souveraineté.
  4. Reprendre le contrôle des ressources africaines – Les États doivent renégocier les contrats miniers, taxer les entreprises étrangères et garantir que les richesses du continent profitent aux populations locales.
  5. Former la jeunesse au panafricanisme – Les idéaux de Nkrumah, Sankara et Lumumba doivent être enseignés, pour que les nouvelles générations prennent conscience de l’importance de l’unité et de l’indépendance africaine.

Le Temps des Discours Creux est Révolu

Le panafricanisme ne devait jamais être une simple utopie, mais un appel à l’action. Pourtant, aujourd’hui, il est réduit à un slogan récité lors de sommets diplomatiques, sans impact réel sur les politiques du continent.

L’Afrique ne peut pas se permettre encore 50 ans de stagnation, d’immobilisme bureaucratique et de promesses non tenues. Soit le panafricanisme se réinvente en une force politique et économique concrète, soit il disparaîtra définitivement dans les oubliettes de l’histoire.

Le choix appartient aux Africains. L’Afrique s’unira-t-elle en une puissance mondiale, ou restera-t-elle un continent d’espoirs éternellement déçus ?

Le rêve n’est pas encore mort mais si l’Afrique n’agit pas maintenant, il le sera bientôt.