À l’heure où le monde semble s’embraser sous les feux croisés des grandes puissances, l’on est en droit de s’interroger: ne vivons-nous pas la fin d’un monde que nous pensions immuable ? Ce monde né des cendres de la Seconde Guerre mondiale, où des équilibres fragiles ont permis à la civilisation occidentale de se reconstituer. Mais aujourd’hui, la donne a changé. La colonisation, jadis condamnée et reléguée au passé, refait surface sous des formes insidieuses. L’oppression des peuples, la déportation des populations deviennent des réalités presque légitimées, à l’ombre d’une guerre des civilisations qui, loin d’être un spectre, est désormais un concept affirmé, mis en avant par les puissants.
Est-ce donc cela, l’aube d’un nouvel ordre mondial? Ou bien ne s’agit-il que de la fin d’un système dépassé, celui de l’après-Seconde Guerre mondiale, déjà en ruines sous les coups de la mondialisation et des conflits géopolitiques incessants ?
L’Afrique, ce continent souvent relégué au second plan, se trouve au cœur de ce tourbillon. Quel rôle joue-t-elle dans ce bouleversement mondial? Faut-il la voir comme la nouvelle proie d’une compétition impérialiste entre puissances en quête de ressources et d’influence? Doit-elle craindre une nouvelle forme de colonisation, plus subtile, plus pernicieuse, mais tout aussi destructrice que celle qu’elle a connue au XIXe siècle? Prenons l’exemple du Soudan du Sud, où les puissances mondiales, bien qu’en apparence pourvoyeuses de paix, sont en réalité responsables du maintien d’un statu quo de guerre civile qui profite à leurs intérêts géopolitiques et économiques. Ou encore le cas de la République Démocratique du Congo, un véritable terrain de jeu pour les multinationales minières, qui exploitent les ressources naturelles du pays sans réelle redistribution des profits aux populations locales, ce qui perpétue la pauvreté et le sous-développement.
La Libye, en 2011, nous donne un autre exemple frappant. Ce pays, jadis gouverné par un régime fort, a été déstabilisé à la suite de l’intervention militaire de l’OTAN, menant à une guerre civile qui dure encore aujourd’hui. Derrière cette intervention se cachaient, certes, des discours humanitaires, mais également des enjeux liés au contrôle des ressources énergétiques de la région, notamment le pétrole. De plus, l’absence d’une reconstruction véritable après le renversement de Mouammar Kadhafi montre comment l’Afrique peut rapidement redevenir un terrain de conflit, plutôt qu’un espace de croissance autonome.
Mais l’Afrique ne se contente pas d’être un simple spectateur de ce grand jeu de pouvoir. Les BRICS, par exemple, offrent une alternative de plus en plus sérieuse à la domination occidentale. Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud s’unissent dans une alliance stratégique qui cherche à contester l’hégémonie de l’Occident. La Chinafrica, cette initiative chinoise en Afrique, bien que critiquée pour ses dérives néocoloniales, représente aussi une forme de redéfinition de l’ordre mondial. La Chine investit massivement dans des infrastructures en Afrique, et même si les termes sont parfois désavantageux, cela permet à certains pays africains de sortir de la tutelle des puissances coloniales historiques. L’Afrique, dans ce sens, commence à entrevoir la possibilité de choisir ses partenaires en fonction de ses propres intérêts, au lieu de subir la volonté des anciennes puissances colonisatrices.
Mais, au-delà des alliances géopolitiques, la véritable question demeure: l’Afrique saura-t-elle tirer profit de ce moment de chaos global? Le continent, riche de ses ressources naturelles et de ses jeunes populations dynamiques, pourrait bien avoir la clé de son propre destin. Si les technologies numériques et les énergies renouvelables sont des secteurs en pleine croissance, l’Afrique a un atout considérable à jouer dans ces domaines. Le Kenya, par exemple, a été un pionnier en matière de solutions financières numériques avec M-Pesa, une plateforme mobile de paiement qui a transformé l’économie informelle et a permis à des millions de personnes d’accéder à des services bancaires. Si ces innovations pouvaient se déployer à une échelle plus large, l’Afrique pourrait non seulement s’affranchir de la dépendance aux anciennes puissances économiques, mais aussi proposer un modèle de développement plus inclusif et durable.
Cela dit, il ne suffit pas de simplement souhaiter un changement. L’Afrique doit maintenant se doter des infrastructures politiques et économiques nécessaires pour capter ces nouvelles opportunités. Il ne s’agit pas uniquement de suivre le rythme des puissances mondiales, mais de prendre les devants, de repenser les relations internationales, et de s’engager dans une voie autonome qui privilégie le bien-être de ses populations. Cela implique une réforme en profondeur des structures internes, la promotion de la gouvernance et la lutte contre la corruption qui, malheureusement, étouffent souvent les projets ambitieux.
Est-ce une utopie ? Peut-être. Mais l’Afrique ne pourra plus se permettre de se contenter de l’attentisme. Ce moment historique, où les puissances mondiales se redéfinissent et où les vieilles certitudes vacillent, pourrait être l’occasion de réécrire les règles du jeu. L’Afrique, si elle fait preuve de clairvoyance et d’unité, pourrait bien devenir la nouvelle voix forte dans un monde multipolaire en pleine mutation. Le défi est de taille, mais le continent a montré par le passé sa capacité à se réinventer. L’heure est venue d’un nouveau chapitre.