Le franc CFA, acronyme de “Franc des Colonies Françaises d’Afrique”, est une monnaie créée en 1945 par la France pour ses colonies africaines. Aujourd’hui, elle est toujours utilisée par 14 pays africains répartis dans deux zones monétaires : l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui regroupe huit États de l’Afrique de l’Ouest, et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), composée de six pays d’Afrique centrale. Ensemble, ces pays forment la “zone franc”, dont la monnaie est directement liée à l’euro, et bénéficie d’une garantie de convertibilité illimitée de la part du Trésor français.
Une monnaie controversée
Malgré cette apparente stabilité, le franc CFA est depuis longtemps une source de discorde. De nombreux économistes africains considèrent que cette monnaie est un frein au développement économique des pays qui l’utilisent. Ils dénoncent notamment le fait que les réserves de change de ces pays sont obligatoirement déposées dans un compte spécial au Trésor français, leur privant d’une gestion autonome de leurs devises. En effet, chaque pays de la zone franc est tenu de placer 50 % de ses réserves de change dans ce compte, une disposition qui limite considérablement leur capacité d’action en matière de politique monétaire et de gestion de crises économiques.
Les critiques vont plus loin, affirmant que le franc CFA maintient les pays africains dans un rapport de dépendance vis-à-vis de la France. Ils estiment que cette monnaie ne profite qu’à une élite africaine proche du pouvoir, ainsi qu’aux entreprises françaises et multinationales qui trouvent dans la stabilité de cette devise un environnement favorable à leurs investissements. En revanche, pour les économies locales, le franc CFA constitue un obstacle majeur à la diversification, à l’industrialisation, et à la compétitivité sur le marché mondial.
Une stabilité à double tranchant
L’un des arguments avancés par les partisans du franc CFA est la stabilité qu’il offre aux économies africaines. Grâce à son ancrage à l’euro, le franc CFA bénéficie de la crédibilité de la monnaie européenne, offrant ainsi une protection contre l’inflation, qui peut ravager d’autres pays africains où la monnaie nationale est plus volatile. Cependant, cette même stabilité empêche les pays de la zone franc de dévaluer leur monnaie pour rendre leurs exportations plus compétitives, une stratégie pourtant utilisée par de nombreux pays pour stimuler leur croissance.
En outre, le taux de change fixe entre le franc CFA et l’euro fait que les fluctuations de l’euro ont un impact direct sur les économies africaines, sans que ces dernières aient la possibilité de réagir en ajustant leur propre monnaie. Ainsi, lorsque l’euro s’apprécie face au dollar, cela rend les exportations africaines plus chères et donc moins compétitives sur les marchés internationaux.
Des promesses de réforme qui restent sans effet
Face aux critiques répétées et à la montée des mouvements panafricains réclamant la fin du franc CFA, les autorités françaises ont, à plusieurs reprises, fait des déclarations laissant entendre qu’une réforme du système était possible. En 2010, Christine Lagarde, alors ministre française de l’Économie, avait affirmé que “ce n’est pas à la France de déterminer si le système actuel est approprié ou non”. Une position reprise par Michel Sapin en 2016, qui déclarait que “c’est aux États concernés de prendre leurs responsabilités”.
Malgré ces déclarations, les réformes concrètes restent rares, et les tentatives de sortir du système du franc CFA rencontrent souvent des résistances internes et externes. En 2019, une avancée symbolique semblait avoir été réalisée avec l’annonce par le président ivoirien Alassane Ouattara, et le président français Emmanuel Macron, de la création de l’ECO, une nouvelle monnaie pour remplacer le franc CFA en Afrique de l’Ouest. Cependant, ce projet est resté lettre morte, notamment en raison de désaccords entre les pays de la région et de la pression des anciens partenaires européens, soucieux de maintenir la stabilité économique de leurs anciennes colonies.
Une indépendance monétaire entravée
Pourquoi, alors, est-il si difficile pour les pays africains de la zone franc de sortir de ce système ? La réponse réside dans la complexité des liens historiques, économiques et géopolitiques qui unissent ces pays à la France. Le franc CFA est non seulement un outil économique, mais aussi un levier de pouvoir pour la France en Afrique, lui permettant de maintenir une influence prépondérante dans ses anciennes colonies. En plus du contrôle indirect sur les réserves de change, la France continue de participer aux instances décisionnelles des banques centrales régissant la zone franc, ce qui limite encore plus la marge de manœuvre des États africains.
Le maintien du franc CFA bénéficie également à une partie des élites africaines, qui y voient un gage de stabilité pour leurs propres intérêts économiques. Ces élites, souvent proches des cercles du pouvoir, jouent un rôle clé dans la perpétuation du système, au détriment de la majorité de la population, qui subit les conséquences de cette dépendance monétaire.
Un avenir incertain
Alors que les débats autour du franc CFA s’intensifient, l’avenir de cette monnaie reste incertain. Si certaines voix, notamment celles de jeunes économistes et activistes africains, appellent à une rupture radicale avec ce système, d’autres prônent une approche plus graduelle, craignant que la sortie brutale du franc CFA n’entraîne des perturbations économiques majeures.
Toutefois, tant que la question de la souveraineté monétaire ne sera pas pleinement abordée, il est peu probable que les pays africains puissent véritablement sortir du piège du franc CFA. Il ne s’agit plus simplement de réformes cosmétiques, mais d’une véritable émancipation économique qui leur permettrait de contrôler pleinement leur destin. Pour l’heure, la France semble jouer un rôle d’observateur bienveillant, tout en gardant fermement la main sur les mécanismes qui régissent cette monnaie controversée.