Le 30 août 2023 restera gravé dans l’histoire du Gabon et, au-delà, dans la mémoire politique de toute l’Afrique centrale. Un chef d’État, jadis présenté comme l’héritier naturel d’une dynastie de 56 ans, fut renversé par ceux-là mêmes qui l’avaient hissé et protégé.
Ali Bongo Ondimba, président diminué par la maladie, fut emporté en quelques heures dans une marée de colère, de calculs froids et de trahisons longtemps contenues. Alors que la présidence annonçait encore, dans un climat de censure et de suspicion, une victoire électorale hautement contestée, les militaires frappaient, méthodiques, implacables: Le roi était nu.
Un Règne Déjà Fantôme
Depuis son AVC massif de 2018, Ali Bongo ne gouvernait plus réellement. Le vide laissé par sa santé déclinante avait été comblé par un clan familial tentaculaire dirigé par son épouse Sylvia Bongo Valentin et son fils Noureddin Bongo Valentin. La présidence, jadis institutionnelle, était devenue une chambre d’influence opaque, où décisions et faveurs circulaient entre conseillers occultes, lobbyistes internationaux et oligarques voraces.
Le Gabon officiel et le Gabon réel ne se parlaient plus. La population étouffait sous la gabegie, la corruption et l’humiliation silencieuse d’un pouvoir déconnecté. L’armée, quant à elle, grondait, tenue en respect par des privilèges que même la fidélité ne suffisait plus à garantir.
L’Élection de Trop
Quand, au petit matin du 30 août, la Commission électorale (CENAP) proclama une victoire sans éclat pour Ali Bongo, dans un pays plongé dans l’obscurité numérique (coupure d’internet et couvre-feu généralisé), le vernis craqua.
Avait-il fallu cette provocation finale pour déclencher l’orage ? Ou les dés étaient-ils jetés depuis longtemps?
Selon des sources militaires, le coup d’État était minutieusement préparé depuis plusieurs semaines. Le général Brice Oligui Nguema, patron de la Garde Républicaine et ancien proche du père Bongo, avait tissé un réseau de ralliement au sein des forces armées, exaspérées par les détournements massifs orchestrés par la “Famille Bongo”.
Au cœur de la nuit, la décision fut prise : Ali Bongo devait tomber.
Le Coup de Grâce
À 04h00 du matin, sous une pluie fine, les blindés de la Garde Républicaine prenaient position autour du Palais du Bord de Mer. En moins de deux heures, les lieux stratégiques télévision nationale, ministères clés, aéroport étaient sous contrôle. Le palais, réduit à une île coupée du monde, tomba sans résistance.
Ali Bongo, abandonné par une grande partie de ses gardes personnels, fut placé en résidence surveillée. Son fils Noureddin, accusé de malversations financières massives, fut interpellé, ainsi que plusieurs ministres et hauts cadres du régime.
À 06h30, un militaire grave, en treillis, lisait à la télévision nationale :
« Nous, forces de défense et de sécurité réunies au sein du CTRI, avons décidé de mettre fin au régime en place pour préserver la paix. »
Le Gabon entier, l’Afrique, et le monde découvraient, stupéfaits, la fin brutale de 56 ans de dynastie Bongo.
Le Signal d’Ali: Solitude et Détresse
Quelques heures plus tard, une vidéo poignante émergea sur les réseaux sociaux. Ali Bongo, visiblement désemparé, s’adressait au monde dans un message éperdu :
« Je suis Ali Bongo Ondimba, président du Gabon. J’appelle mes amis dans le monde entier : faites du bruit ! »
Dans cette séquence déroutante, c’est un homme seul, trahi, qui appelle à l’aide, révélant aux yeux de tous que le pouvoir, quand il se fige dans l’arrogance, ne laisse au sommet que l’isolement.
La Fin d’une Dynastie ou le Début d’un Nouvel Ordre?
Le renversement d’Ali Bongo marque bien plus qu’un simple changement de régime : il symbolise l’effondrement des vieilles dynasties postcoloniales d’Afrique centrale ces familles présidentielles qui, telles des monarchies modernes, s’étaient arrogées le pouvoir comme un héritage privé. La chute de Bongo suit de près celles de Blaise Compaoré au Burkina Faso, Robert Mugabe au Zimbabwe, ou encore Omar el-Béchir au Soudan. Un modèle est en train de mourir sous nos yeux. Mais une question cruciale reste suspendue: Le Gabon entrera-t-il réellement dans une ère nouvelle ou sera-t-il piégé dans l’éternel recommencement des putschs sans lendemain ? Le général Brice Oligui Nguema, nouveau maître du pays, promet des élections et des réformes. Mais l’Afrique sait que les promesses faites au lendemain des coups d’État s’évanouissent souvent face aux délices du pouvoir retrouvé.
Épilogue: Ali Bongo, l’Héritier Déchu
De Libreville à Paris, en passant par les chancelleries africaines, la chute d’Ali Bongo est un avertissement. À tous ceux qui confondent pouvoir et patrimoine personnel. À tous ceux qui croient l’histoire immobile. Car en Afrique, plus qu’ailleurs, “le vent qui fait tomber une feuille sèche peut emporter un baobab”.