DU GÉNÉRAL AU PRÉSIDENT: LA VICTOIRE À 90 % DE BRICE OLIGUI NGUEMA SUSCITE TANT L’ADHÉSION QUE LA MÉFIANCE

By Baknakio Armstrong
Brice Clotaire Oligui Nguema Celebre sa Victoire

Libreville, Gabon – Moins d’un an après avoir pris le pouvoir par un coup d’État sans effusion de sang, le président de transition Brice Oligui Nguema a été déclaré grand vainqueur de l’élection présidentielle, recueillant 90,35 % des suffrages selon les résultats provisoires. Alors que la version officielle salue un tournant démocratique, de nombreuses voix, au Gabon comme à l’international, s’interrogent : assistons-nous à un véritable changement ou simplement au remplacement d’un homme fort par un autre ?

Ce scrutin marquait la première élection nationale depuis le coup d’État d’août 2023 qui a renversé le président Ali Bongo et mis fin à plus de cinquante ans de règne de la dynastie Bongo. Nguema, promettant un retour à la démocratie, a troqué l’uniforme militaire contre le costume civil et mené une campagne qui, selon la plupart des observateurs, manquait de réelle compétition.

La participation a été annoncée à 70,4 %, avec plus de 920 000 électeurs inscrits. Toutefois, l’ampleur de la victoire et les rapports selon lesquels certains bureaux de vote auraient enregistré 100 % des voix pour Nguema ont suscité davantage de soupçons que d’enthousiasme.

« L’élection de samedi n’a été ni transparente, ni libre », a dénoncé Alain-Claude Bilie-By-Nze, ancien Premier ministre et deuxième du scrutin avec seulement 3 % des voix. « Ce que nous avons vu, c’est une instrumentalisation flagrante de l’appareil d’État et une parodie de démocratie. »

Une victoire encadrée ?

La domination quasi-totale de Nguema pendant la campagne et l’absence notable de ses principaux concurrents dans les médias et sur le terrain ont conduit beaucoup à qualifier cette élection de mise en scène plutôt que d’exercice démocratique. Bilie-By-Nze et les autres candidats ont eu peu de visibilité, soulevant des questions sur l’égalité d’accès et la liberté du processus électoral.

Bien que les observateurs internationaux n’aient signalé aucune irrégularité majeure dans les bureaux de vote, l’environnement électoral toujours marqué par l’influence militaire jette une ombre sur la légitimité des résultats.

Une illusion de changement?

À Libreville, l’opinion publique est partagée. Certains électeurs affirment avoir ressenti une lueur d’espoir dans le message de réforme porté par Nguema. « Cette fois, j’ai ressenti quelque chose de différent, alors je suis allée voter », confie Olivina Migombe, 58 ans. « Je veux croire au changement. »

Mais d’autres restent prudents. « Si Oligui veut vraiment diriger, il doit prouver qu’il n’est pas un Bongo déguisé », estime Patrick Essono-Mve, technicien au chômage. « Il y a trop de pauvreté, trop de routes délabrées et trop peu de confiance. »

Malgré ses richesses pétrolières, le Gabon souffre d’une inégalité criante, d’infrastructures en ruine et d’une lourde dette extérieure. Des problèmes non résolus sous le régime Bongo et désormais placés entre les mains d’Oligui, qui devra concrétiser sa promesse d’une « Nouvelle République ».

Rupture ou continuité masquée?

Ancien proche d’Ali Bongo et commandant fidèle de la Garde républicaine, Nguema tente aujourd’hui de se détacher de cet héritage. Sa décision d’autoriser les médias étrangers à observer le dépouillement, ainsi que le déroulement pacifique du scrutin, ont été considérés comme des signaux positifs. Toutefois, dans un pays habitué à une gouvernance autoritaire déguisée en démocratie, les apparences ne suffisent pas à instaurer une réforme authentique.

Les critiques estiment que, malgré une rhétorique de libération, la large victoire de Nguema, l’absence d’une opposition crédible et sa mainmise persistante sur les institutions publiques traduisent une simple redistribution interne du pouvoir plutôt qu’un réel transfert aux citoyens.

Avec un mandat de sept ans devant lui, Brice Oligui Nguema est à la croisée des chemins. Il peut soit tenir ses promesses de transparence et de gouvernance inclusive, soit s’enliser dans l’ombre du régime qu’il prétend avoir renversé.

Et maintenant pour le Gabon?

Alors que le calme règne après un scrutin tantôt applaudi, tantôt critiqué, une question centrale demeure : Brice Oligui Nguema peut-il se transformer d’homme fort de transition en véritable dirigeant démocratique ? Ou bien le Gabon s’est-il, une fois de plus, laissé séduire par l’illusion du changement ?