DE LA CULPABILITÉ À LA JUSTICE: DES DESCENDANTS BRITANNIQUES DE PROPRIÉTAIRES D’ESCLAVES REJOIGNENT L’APPEL MONDIAL AUX RÉPARATIONS

By Franck Gutenberg
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NATIONS UNIES, New York — Lors d’une réunion poignante et émotionnellement chargée au siège des Nations Unies, des descendants de propriétaires d’esclaves britanniques se sont tenus aux côtés de descendants d’esclaves pour affronter l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire humaine et appeler à une véritable justice réparatrice.

Parmi eux, Charles Gladstone, arrière-arrière-petit-fils de l’ancien Premier ministre britannique du XIXe siècle William Gladstone, a exprimé publiquement ses remords après avoir découvert que sa famille avait bâti sa richesse sur l’exploitation d’Africains réduits en esclavage en Jamaïque et en Guyane.

« J’ai ressenti un profond sentiment de culpabilité », a-t-il déclaré, reconnaissant que les privilèges de son héritage étaient « fondamentalement liés à ce passé criminel ».

Il n’était pas seul. Laura Trevelyan, ancienne journaliste de la BBC devenue militante pour les réparations, a révélé que son ancêtre, Sir John Trevelyan, possédait autrefois plus de 1 000 esclaves dans des plantations de canne à sucre à la Grenade. Après avoir découvert la vérité grâce aux archives en ligne de la Slave Compensation Commission britannique, elle a présenté des excuses officielles et promis une contribution de 100 000 livres sterling (environ 133 000 dollars) pour soutenir l’éducation sur l’île. Bien que certains aient jugé ce geste insuffisant, il représente un acte rare et courageux de reconnaissance historique.

Une réunion historique à l’ONU: le poids d’un passé douloureux

Organisée en marge du Forum permanent de l’ONU sur les personnes d’ascendance africaine, la réunion a réuni des diplomates, des universitaires ainsi que des descendants de propriétaires d’esclaves et d’esclaves. Une première du genre, symbole d’une évolution du discours mondial où les réparations, autrefois taboues, s’imposent de plus en plus dans le débat public.

Aidee Walker, descendante d’un esclavagiste jamaïcain et d’une domestique africaine, a raconté comment un test ADN l’a surprise en révélant ses origines nigérianes. Sa sœur, Kate Thomas, a déclaré que cette découverte sur le rôle de leur famille dans l’esclavage les a poussées à agir:

« Si nous sommes nombreux à nous mobiliser, nous pourrons exercer une pression réelle sur les institutions et les gouvernements », a-t-elle souligné.

Un héritage de l’esclavage encore bien vivant

Selon le Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, entre 25 et 30 millions d’Africains de l’Ouest ont été déportés et réduits en esclavage à travers les Amériques à partir du XVe siècle. Bien que la Grande-Bretagne soit souvent saluée pour avoir aboli l’esclavage en 1833, son rôle dans l’établissement et la prospérité de la traite est largement sous-estimé.

« Les horreurs de ce crime contre l’humanité ne sont pas de l’histoire ancienne », a rappelé Charles Gladstone. « Elles sont encore profondément ressenties aujourd’hui. »

Malgré ces révélations et quelques gestes symboliques, le gouvernement britannique refuse toujours de considérer des réparations financières, comme l’a récemment confirmé la ministre du Développement Anneliese Dodds, excluant tout versement aux pays caribéens.

Cette position suscite de vives critiques chez les militants et les historiens qui estiment que la justice véritable exige plus que des regrets elle exige une réparation concrète.

Le plan de réparations de la CARICOM gagne du terrain

La Communauté caribéenne (CARICOM) a mis au point un plan en 10 points pour la justice réparatrice, comprenant des excuses officielles, des réformes éducatives et l’annulation de dettes.
Verene Shepherd, vice-présidente de la Commission des réparations de la CARICOM, a exhorté les pays européens à aller au-delà des simples déclarations d’intention: « Le remords ne suffit pas. Les réparations sont une obligation morale et historique. »

Arley Gill, président de la Commission nationale des réparations de la Grenade, s’est montré optimiste:

« La marée tourne, et de plus en plus de dirigeants reconnaissent aujourd’hui les crimes persistants du colonialisme. »

Du silence à l’action

La réunion s’est conclue sur les mots percutants de l’ambassadeur Walton Webson d’Antigua-et-Barbuda:

« Nous avons atteint le point où parler de réparations n’est plus un tabou. Désormais, il faut que ce soit sur les lèvres de chaque enfant, de chaque citoyen, et que cela mène à l’action. »

Ce qui semblait autrefois impensable voir les élites britanniques affronter leur passé esclavagiste est désormais au cœur d’un mouvement international en plein essor pour la justice. Mais une question persiste : les remords seront-ils suivis de réparations véritables ?