BRISER LE SILENCE: LE COMBAT D’UNE DRAMATURGE CONTRE LE TABOU DU VIOL EN AFRIQUE DE L’OUEST

By Patsonvilla, USAfrica News Inc.
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Sous un projecteur tamisé dans une salle silencieuse, Oliva Ouedraogo serre dans ses mains un morceau de tissu taché de sang et s’écrie: « Vive la fille ! » Ses paroles résonnent dans le centre culturel Acte Sept à Bamako, au Mali, où est jouée sa pièce Reine (en français Reine). Mais cette œuvre va bien au-delà d’une simple performance théâtrale c’est un manifeste audacieux contre le silence qui entoure les violences sexuelles dans de nombreuses sociétés africaines.

 

Ouedraogo, auteure et interprète principale de Reine, raconte l’histoire bouleversante d’une jeune fille violée par son beau-père le soir de son mariage avec sa mère. Contre toute attente et en dépit de la pression sociale, la jeune fille décide de parler. L’intrigue reflète la réalité vécue par d’innombrables victimes de viol en Afrique de l’Ouest, où les attentes sociales imposent le silence et la soumission.

 

« Pendant trop longtemps, ce sont les victimes qui ont été rendues responsables, salies, honteuses et isolées », explique Ouedraogo avec une conviction ardente. « Comment est-il possible qu’une personne violée doive porter le fardeau de la honte ? Comme si la société lui disait : ‘C’est toi qui dois te cacher, pas l’agresseur.’ »

 

Le silence autour des violences sexuelles n’est pas unique au Mali, mais il reste particulièrement préoccupant dans le pays. Selon une enquête sanitaire réalisée en 2018 par l’Institut National de Statistique du Mali, 45 % des femmes maliennes âgées de 15 à 49 ans ont subi des violences physiques ou sexuelles. La majorité de ces agressions sont commises par des proches époux, pères ou autres membres de la famille. Plus alarmant encore, 68 % de ces femmes n’en ont jamais parlé à personne, perpétuant ainsi la stigmatisation qui empêche les victimes de s’exprimer.

 

La passion d’Ouedraogo pour le théâtre s’est révélée dès son enfance, lorsqu’elle a rejoint un groupe théâtral au Burkina Faso à l’âge de 11 ans. En grandissant, elle a été de plus en plus révoltée par le silence entourant le viol et le poids émotionnel qu’il impose aux victimes. Reine est né de cette colère un appel à affronter non seulement le traumatisme individuel, mais aussi le silence collectif qui le perpétue.

 

« Les victimes de viol sont forcées de garder le silence pour ‘protéger’ leur famille, comme si parler détruirait cette dernière », explique-t-elle. « Mais à quel prix? Nous sacrifions le bien-être mental des jeunes filles pour préserver une fausse idée de l’honneur familial. »

 

Dans une société patriarcale comme le Mali, les victimes de violences sexuelles sont soumises à des pressions pour taire leurs expériences, comme le confirme Mariama Samake, directrice de l’organisation non gouvernementale *Fille en détresse*. « Il n’est pas rare de trouver au moins une victime de viol dans chaque famille », affirme Samake. « Mais la structure sociale les contraint à souffrir en silence. Parler, c’est risquer d’être reniée ou ostracisée. »

 

Le problème ne se limite pas à l’Afrique. Aux États-Unis, une fille sur neuf de moins de 18 ans est victime d’abus ou de violences sexuelles, tandis que dans l’Union européenne, une femme sur vingt de plus de 15 ans a été violée, selon Amnesty International. Pourtant, au Mali et dans d’autres régions d’Afrique, les couches de silence et de déni sont renforcées par des normes culturelles qui privilégient la réputation familiale au détriment du bien-être individuel.

 

Ouedraogo croit fermement que l’expression artistique peut jouer un rôle crucial dans la déconstruction de ces attitudes néfastes. « Le théâtre offre un espace pour affronter des vérités inconfortables », dit-elle. « Nous devons tenir un miroir devant la société et la forcer à regarder ce qu’elle préfère ignorer. »

 

À travers Reine, elle cherche non seulement à sensibiliser, mais aussi à créer un environnement où les survivantes se sentent suffisamment en sécurité pour partager leurs histoires. « Il n’y a pas de soutien psychologique pour ces filles. Aucun lieu où elles peuvent parler sans crainte d’être jugées », déplore-t-elle. « La société les étiquette comme folles ou instables, alors qu’elles portent un traumatisme qu’elles n’ont jamais pu exprimer. »

 

Son objectif ultime est de voir les gouvernements agir en donnant la priorité aux lois qui protègent les victimes et punissent les agresseurs. Mais au-delà des lois, elle croit en la puissance du dialogue. « Si nous ne parlons pas de ces choses ouvertement, les victimes ne se sentiront jamais capables de demander de l’aide », insiste-t-elle.

 

La pièce d’Ouedraogo est bien plus qu’un projet artistique c’est une forme de résistance, un appel à briser le silence oppressif et à offrir aux survivantes la compassion et l’attention qu’elles méritent. « La question n’est pas seulement de savoir comment aider les victimes à guérir », dit-elle. « Il s’agit de savoir comment les faire sortir de l’ombre et les amener vers la lumière. »

 

Avec d’autres représentations prévues à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, Ouedraogo espère que son message résonnera largement. Elle rêve qu’un jour, plus aucune fille ne soit forcée de porter le poids de sa douleur en silence. « Ce n’est pas seulement mon histoire », déclare-t-elle. « C’est l’histoire de nombreuses filles qui attendent que quelqu’un leur dise : ‘Je t’entends.’ »